Maître, quel a donc été le rôle de la musique dans ce processus ?

La musique a joué un rôle incroyable pour plusieurs raisons : le « cécilianisme » maniéré – auquel Perosi ne fut pas étranger – avait introduit avec    ses mélodies chantantes un sentimentalisme romantique nouveau, qui n’avait rien à voir, par exemple, avec la corpulence éloquente et solide de Palestrina. Certaines extravagances mal placées de    Solesmes avaient cultivé un grégorien susurré, fruit lui aussi de cette pseudo restauration médiévalisante qui a eu tant de succès au XIXème siècle. C’était l’idée de l’opportunité d’une    récupération archéologique, aussi bien en musique qu’en liturgie, d’un passé lointain dont nous auraient éloigné les « siècles obscurs » du Concile de Trente… De l’archéologisme, en    somme, qui n’a rien à voir, absolument rien à voir avec la Tradition, car il veut récupérer ce qui finalement n’a peut-être jamais existé. Un peu comme certaines églises restaurées dans le style    « pseudo roman » de Viollet-le-Duc. Ainsi donc, entre un archéologisme qui prétend se rattacher à l’époque apostolique, mais en se séparant des siècles qui nous relient à ce passé, et    un romantisme sentimental qui méprise la théologie et la doctrine pour exalter les « états d’âme », s’est préparé le terrain qui a abouti à cette attitude de suffisance vis-à-vis de ce    que l’Église et nos Pères nous avaient transmis.

Que voulez-vous dire, Monseigneur, lorsque dans le domaine musical vous attaquez Solesmes ?

Je veux dire que le chant grégorien est modal et non pas tonal. Il est libre, et non pas rythmé. Ce n’est pas « un, deux, un, deux, trois ». Il ne fallait    pas dénigrer la façon de chanter dans nos cathédrales pour lui substituer un chuchotement pseudo monastique et affecté. On n’interprète pas le chant du Moyen-âge avec des théories d’aujourd'hui,    mais il faut le prendre comme il nous est parvenu. De plus, le grégorien d’autrefois savait être aussi un chant populaire, chanté avec force et vigueur, comme le peuple exprimait sa foi avec    force et vigueur. Et c’est cela que Solesmes n’a pas compris. Cela étant dit, il faut bien sûr reconnaître l’immense et savant travail philologique qui y a été fait en ce qui concerne l’étude des    manuscrits antiques.

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Comments

  • Je suis d'accord avec les deux. Bartolucci est trop baroque et rococo  pour critiquer le grégorien. Pour lui, le meilleur de la musique était au XVIIe siècle ...

  • Malgré la passion de Mgr Bertolucci pour la cause de la musique liturgique, je n'aime pas ce texte, même si certaines affirmations sont justes. l'interview est polémique et trop subjective.

    La référence à l'archéologisme est une critique facile ! Le mot est d'ailleurs utilisé systématiquement par tous ceux qui dénigrent toute évolution de l'interprétation du grégorien à la lumière des sources… L'argument est sommaire et peut nourrir des contre-sens.

    La critique contre Solesmes est excessive, même extravagante pour reprendre le mot de Mgr Bertolucci lui-même. Le rythme « un, deux, un, deux, trois », est certes une erreur très regrettable qui a figé trop de choses n'ayant certes rien à voir avec la tradition, mais qui ne fait pas d'erreur ? Aujourd'hui, le "comptage des ictus" est tout de même dépassé, même s'il a encore des adeptes. Quant au grégorien "susuré", c'est bien sûr affreux, mais je ne vois pas en quoi Solesmes en serait responsable. La vraie cause, c'est surtout un certain amateurisme, qui veut qu'on chante du grégorien ou, pire, qu'on le fasse chanter, sans avoir la moindre notion de technique vocale, et qu'on l'accompagne encore trop souvent harmoniquement, ce qui le dénature. Personne n'oserait saccager ainsi aucune autre musique. Solesmes, au contraire, nous a légué des travaux extraordinaires, l'héritage de Dom Cardine en est un fruit exemplaire. 

    Mgr Bertolucci est mal placé pour critiquer des interprétations : tout le monde a entendu ses propres interprétations lors d'évènements importants au Vatican relayés par la télévision. On peut être légitimement réservé par rapport à celles-ci, ainsi que sur le style vocal de son chœur en général … Quant au grégorien "populaire", ne se limitait-il pas pendant longtemps à une partie infime du répertoire ? Le grégorien est-il plus populaire qu'élitiste ? Plus paroissial que monastique ? pourquoi devrait-il être solesmien ou anti-solesmien ? Il est universel et destiné à porter une prière : son interprétation en dépend et non de la mode ou des goûts. 

    Enfin il est vrai que nous ignorons l'essentiel quant à la technique vocale aux différentes périodes du Moyen-Age, et même bien plus tard. Il faut donc garder une certaine modestie dès qu'on parle d'interprétation et éviter les a priori incertains et se méfier de la mode, qui est par définition changeante et voit son effet amplifié par les moyens modernes de communication.

  • Cependant, je pense que Solesmes a reçu de Dom Guéranger une intuition fondamentale dans l'interprétation du chant grégorien, basée sur ce que le chanoine Jeanneteau appelait le style "verbal-modal".

    Toute tentative d'interprétation, basée sur la sémiologie, devrait absolument tenir compte de ce principe. La tradition manuscrite me paraît bien d'ailleurs aller dans ce sens.

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