L'enseignement de la sémiologie, démarche initiée par Dom Cardine, est plus que jamais d'actualité, et je me réjouis qu'un groupe sur ce thème ait été créé sur ce réseau. C'est une excellente idée de Dom Guilmard, et il faut l'en remercier.
Ce qui serait intéressant, ce serait d'élargir la "sémiologie grégorienne" telle qu'elle a été publiée en son temps, d'en éditer une version basée non plus principalement sur l'écriture sangallienne, mais à part égale sur la notation messine. Il faudrait y ajouter la copie des neumes de Laon (et aussi, secondairement - mais pas trop - à d'autres écoles de notation) sur tous les exemples de la "sémiologie grégorienne" qui ne sont illustrés qu'en notation sangallienne. D'autant que pour des novices en chant grégorien, Laon me paraît plus clair en ce qui concerne les valeurs, à cause de l'usage systématique du point ou de l'uncinus. Même si on ne sait pas bien lire les neumes et même si on en connait mal les noms, la différence entre un "uncinus" et un punctum saute aux yeux ! De même, la différence entre des mélismes où les signes sont reliés par rapport à ceux où il y a des "coupures".
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Curieusement, depuis 4 ans que je me penche sur les notations neumatique, ayant lu la "sémiologie grégorienne" de Dom Cardine et "introduction à l'interprétation du chant grégorien" d'Agustoni et Goeschl, je trouve que la notation de St Gall est bien plus parlante.
Par exemple, entre Laon qui dissocie les neumes d'une clivis ou d'un torculus et Saint Gall qui donne une forme "unie", je trouve Saint Gall plus facile à lire.
En ce qui concerne la "coupure neumatique" chère à Dom Cardine, je ne parviens pas à trouver une preuve flagrante de l'interprétation qu'en propose Dom Cardine. On a dit avec raison que Dom Mocquereau était très subjectif et qu'il enonçait sa propre vision des choses : je pense que Dom Cardine fait bien souvent la même chose. Au début de sa SG il dit que, contrairement à ce que pensent certains musicologues (il n'ose pas dire que ce sont les mensuralistes), l'épisème horizontal ne double pas la ou les notes qui le portent. De même, il dit que ceux qui attribuent une valeur différente au tractulus et à la virga, se trompent. Mais pour ces deux cas, à aucun moment il ne donne d'argument sérieux. Il ne cite aucun théoricien médiéval par exemple. Ce n'est pas une démarche scientifique, pas plus que ne l'était celle de Dom Mocquereau.
Ne pouvant écrire dans le groupe, j'ai profité de votre commentaire, je le confesse!
En fait, je pense que l'intitulé du groupe est trop restrictif, dans ce sens qu'on peut s'appuyer sur le travail de Dom Cardine (je dirais même que c'est indispensable) sans pour autant "chanter le plain-chant dans la ligne du Père Cardine".
Pour ma part j'ai commencé avec dom Gajard (j'étais assez borné à l'époque!), puis dom Moquereau, puis dom Cardine et enfin Luca Ricossa m'a ouvert d'autres horizons (théoriciens médiévaux, liturgies non-latines -> mensuralisme) qui viennent singulièrement éclairer le sens des signes neumatiques.
J'ai eu un peu le même parcours que vous, avant de me plonger dans la connaissance du chant grégorien. Au départ je ne considérai comme valable la méthode et l'esthétique de Solesmes. Mais depuis 6 ans, j'ai appris qu'il y avait une autre base pour étudier le rythme du chant grégorien. C'est grâce au forum Musicologie Médiévale et à Luca Ricossa. L'écoute plusieurs fois répété, de la série démission de 2003 sur la restauration grégorienne m'a largement ouvert les yeux. J'ai découvert le mensuralisme, les textes des théoriciens médiévaux.
Ce que j'admire dans votre démarche et votre parcours c'est que vous avez eu assez d'indépendance d'esprit pour aller au-delà de l'enseignement de Solesmes (Dom Mocquereau Dom Gajard) et même de celui de Dom Cardine qui, malgré tout reste inféodé aux vues de Solesmes sur certains points.
Je crains malheureusement que l'Église catholique (en France du moins) soit dans une impasse concernant l'étude des véritables principes d'origine du rythme du chant grégorien.
On fait illusion avec les principes de Dom Cardine, parce que c'est la vision opposé de celle du duo Mocquereau-Gajard, mais dans la pratique le résultat n'est pas satisfaisant, sauf quand on écoute par exemple les disques de la Nova Schóla Gregoriana de Don Turco. Mais dans les monastères français (à part Ligugé - du moins la schóla - qui semble avoir pris un virage à 180°C) et la plupart des schóla laïques françaises, c'est toujours la même rythmique égale qu'on entend. Je ne parle même pas des voix qui manquent encore trop souvent de timbre et de virilité.
Quant à s'appuyer sur le travail de Dom Cardine, oui c'est nécessaire et utile, mais jusqu'à un certain point. Personnellement tant qu'on ne m'aura pas démontré noir sur blanc que tractulus et virga ont la même valeur rythmique et que l'épisème horizontal ne signifie pas le doublement de la note (ou des notes), je prendrai l'enseignement de Dom Cardine avec beaucoup beaucoup de prudence et de réticence. Idem sur la notation de "valeur" que défend Dom Cardine.
Au sujet du rythme verbal et de la notion de valeur si chère à Dom Cardine, notamment la valeur syllabique, comment peut-on dire que dans le chant syllabique les notes prennent la valeur de la syllabe, quand on persiste à dire que l'accent latin est bref et seulement intensif. Suivre ce raisonnement revient à dire que finalement toutes les notes sont brèves (quand elles ne sont pas affublées d'un épisème ou du T de "tenete") puisqu'une syllabe accentuée n'est pas plus longue qu'une syllabe atone.
Depuis Dom Cardine, on fait de sa "sémiologie grégorienne" un absolu et à Solesmes on a laissé tomber en théorie les principes de Dom Mocquereau. Pourtant, à Solesmes, si j'ai bien compris on ne chante pas aujourd'hui selon les principes de Dom Cardine. Bis repetita avec la "méthode" de Solesmes qui n'a jamais vraiment été appliqué à Solesmes.
Oui, la sémiologie grégorienne de Dom Cardine constitue une avancée considérable par rapport aux théories erronés de Dom Mocquereau et Dom Gajard. Mais finalement c'est toujours pareil : on refuse l'évidence, on continue de bouder le mensuralisme pourtant décrit par les théoriciens médiévaux. Serions-nous plus malin qu'eux ? En saurions-nous plus, nous petits hommes du XXeme et XXIeme siècle, sur ceux qui ont connu, théorisés et peut-être même participé à la composition du répertoire grégorien des origines?
Qu'on le veuille ou non, Dom Cardine était, comme Dom Mocquereau, un mensuraliste qui ne s'assumait pas. Et sa sémiologie grégorienne utilise des pirouettes sémantiques pour ne pas utiliser les termes longs et brefs s'agissant de la valeur des notes. De même, il persiste à utiliser la notion "d'allongement" ou "d'élargissement" pour parler du sens de l'épisème horizontal. Y a t-il besoin d'être un grand spécialiste pour savoir qu'au Moyen-âge (surtout au XIeme siècle) la notation de "plus ou moins", "d'élargissement" ou de "nuances agogiques" n'existe pas pour la valeur des notes. La longue est toujours deux fois la brève.
On a l'impression que la sémiologie grégorienne de Dom Cardine a avant tout pour but de démontrer le caractère eronné des théories de Dom Mocquereau. C'est une excellente chose il faut le dire. Mais alors, il faut voir la réalité en face et ne pas remplacer une théorie eronné par une autre théorie qui comporte des erreurs.
Je ne suis pas un mensuraliste pur et dur ou "forcené" mais la vision de Dom Cardine ne me satisfait pas à bien des égards. Il faudrait qu'un jour on reprenne calmement et sans parti pris, le point de vue des mensuralistes pour voir si ce n'est pas plutôt dans cette voie qu'il faut aller pour être au plus près de la réalité scientifique et historique. Mais je doute que beaucoup soient prêts à franchir ce pas, surtout dans les milieux monastiques...
Votre commentaire est intéressant. Le mien, concernant l'ajout des références messines dans la "sémiologie grégorienne", n'avait pas pour but de suggérer de restreindre l'étude du chant grégorien à la seule sémiologie. Vous avez raison de dire que les signes demandent à être interprétés. Comme pour n'importe quelle musique. Certes, Dom Cardine n'aimerait sans doute pas, aujourd'hui, tout ce que chantent ceux qui se réclament plus ou moins de lui. C'était déjà le cas de son vivant. Mais c'est le propre de tous les pionniers que d'initier un mouvement que leurs successeurs développent ensuite. Evidemment, l'étude des signes manuscrits n'est pas la seule base en vue de l'exécution du chant grégorien. Le souffle spirituel est essentiel. Mais dans la mesure où la tradition orale s'est ensuite progressivement transcrite sur du parchemin avec des neumes, les neumes sont tout de même une source incontournable pour cette musique, quelles que soient les traditions postérieures. Quant aux divergences, ne sont-elles pas inéluctables ? Au Moyen-Age, on a chanté différemment d'un lieu à l'autre à chaque époque ! Et il y a aussi la question du tempo, variable d'un lieu à l'autre, d'une époque à l'autre, d'une acoustique à l'autre ...
Enfin, dans tout enseignement, il faut bien commencer par un bout, cela n'empêche pas d'élargir ensuite.
"Ce groupe convie ceux qui veulent étudier et chanter le plain-chant dans la ligne du Père Cardine, le fondateur de la sémiologie grégorienne."
J'ai beaucoup appris de la "Sémiologie grégorienne" de Dom Cardine et de ces autres travaux, mais cela me semblerait assez restrictif de prendre l'étude des signes manuscrits comme seule base en vue de l'exécution du chant grégorien. Ces signes eux-mêmes peuvent et doivent être interprétés. Ce qui donne lieu à de nombreuses divergences : on le voit, par exemple, dans l'ouvrage d'Agustoni et Göschl, très critiques par rapport aux "valeurs" chères à Dom Cardine. Une formulation moins restrictive m'aurait fait adhérer au groupe : on peut en effet étudier les neumes, les signes sans demeurer "dans la ligne de Dom Cardine", tout en profitant du travail de Dom Cardine...
Cependant je ne doute pas qu'il y aura beaucoup de discussions très instructives!