L’historiographie du chant grégorien : le mur du xixe siècle

 

L’accès facilité par le numérique et les « digital Humanities » nous donne l’impression à nous chercheurs et historiens de la musique spécialisés, d’être dans un dialogue direct avec le Moyen Âge. De même les interprètes développent une musicologie historiquement informée, venant étayer des choix artistiques fondés sur des pratiques rigoureuses de la paléographie et de la sémiologie, héritée des travaux de Dom Cardine, sorte d’ultime aboutissement des travaux de l’école de Solesmes…

 

Or, l’appareil conceptuel auquel nous recourons pour penser les problématiques d’édition, de transcription ou de compréhension historique de ces répertoires millénaires, n’a-t-il pas en grande partie été forgé au xixe siècle ? L’image que nous avons de ces périodes romane ou carolingienne, n’est-elle pas le reflet d’une construction moderne, où les représentations de la Musikwissenschaft nous auraient habitués à catégoriser des données que les chantres ou les récepteurs de l’époque n’avaient pas ?   

 

Il semble ainsi essentiel pour les médiévistes de revisiter cette histoire récente de la musicologie et de la liturgie qui s’est développée à la suite du mouvement liturgique de Dom Guéranger ; et même de remonter un peu en amont, aux xvie xviie et xviiie siècles dans l’optique d’engager une véritable démarche épistémologique par rapport aux pratiques d’une « musicologie grégorienne » qui, surtout en France, accuse d’un retard en ce domaine. Alors que les récents travaux de Susan Rankin (Writing Sounds in Carolingian Europe,.dont un chapitre couvre la période allant de 1681 à nos jours), de Benedikt Lessmann (Wien, 2016) ou de Marcus Dahm (Essen, colloque Dom Pothier, St-Wandrille, 2023) apportent de nouveaux éléments à ceux plus connus de Katharine Ellis (The Politics of Plainchant in fin-de-siècle France, Farnham, Ashgate, 2013), nous aurions tendance, nous les musicologues francophones, à en rester à l’ouvrage du bénédictin Dom Pierre Combe de 1969 (Histoire de la restauration d’après des documents inédits), alors que d’autres sources inédites gisent dans les fonds d’Archives et que pléthore d’ouvrages du siècle romantique jusqu’à l’après-guerre ne sont guère lus par les étudiants ni par leurs maîtres…

 

Le vaste champ de recherche qui s’ouvre avec cette historiographie de la période moderne et contemporaine va certainement s’imposer dans les années à venir comme un chemin incontournable pour les études médiévales. Modernistes et médiévistes devront sortir de leurs cloisons pour percer ce nouveau mur du xixe siècle – écho d’un autre, antérieur de mille ans !

Jean-François Goudesenne

Saints Innocents 2023

 

If you are interested to follow the workshop on next 9th january 2024 by zoom, send me your @ address et musicologie@cnrs-orleans.fr

12336620693?profile=RESIZE_710x12336620866?profile=RESIZE_710x

You need to be a member of Musicologie Médiévale to add comments!

Join Musicologie Médiévale

Email me when people reply –