notion de tempus

Suite au dernier post sur le ryhtme tonique, je viens de lire le livre sur le rythme tonique sur internet, ainsi que le rapport de dom Parisot sur sa mission en Turquie. Sans vouloir faire d'anachronisme, peut-on établir un rapport entre le "tempus" des anciens et des modernes chez Moravie et le tempus grec explicité par Aubry? Même question pour l' "instans" de Moravie et le temps premier de Aubry. Il y a quand même des coincidences intéressantes. D'ailleurs, a part Moravie, quels sont les ouvrages en occident qui traitent explicitement du mensuralisme?

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Replies

  • Je suis un peu désolé mais cependant je dois faire mon rôle de modérateur.

    Nous nous éloignons de beaucoup de la "notion de tempus"...
    Il faudrait ouvrir une nouvelle discutions au sujet de la « restauration » du chant…

    Merci
  • Livres dominicains avec pièces polyphoniques "même tardifs" : vous voulez dire "surtout tardifs" ? Pourriez-vous donner des références précises ? De quels types de livres parle-t-on ? Quels types de pièces ? Pour quelles occasions ?


    Ricossa a dit :
    Martin Morard a dit :
    La polyphonie est formellement interdite au plus tard au XIVe s. Parler d'ornementation du chant chez les dominicains me paraît peu crédible. Mais je suis preneur de tout élément probant contredisant cela.

    par exemple les livres dominicains, même tardifs, avec pièces polyphoniques...
    On ne peut jamais généraliser, par exemple en parlant de spiritualité monastique. Cluny? Cîteaux? Quelle différence! Et les cisterciens eux-mêmes, n'ont pas toujours été fidèles à leurs propres principes
    notion de tempus
    Suite au dernier post sur le ryhtme tonique, je viens de lire le livre sur le rythme tonique sur internet, ainsi que le rapport de dom Parisot sur sa…
  • Il est évident qu'il y a eu distorsion entre règles et pratiques. Cela n'empêche pas que les textes normatifs sont révélateurs d'intentions qui donnent le ton d'une pratique majoritaire. Tout cela appelle nuances et chronologies. On est d'accord sur le fond.

    Ne pas généraliser la spiritualité monastique ? Certo ! Certo ! Vaste sujet et pourtant un moine est un moine à Cluny comme à Cîteaux. A commencer par la référence à la Règle, à l'abbé, à l'autorité, etc. On trouvera toujours des différences mais l'arbre ne doit pas cacher la forêt.

    "[les moines de Solesmes] critiquaient la manière traditionnelle au nom de l'archéologie et de la science. On est en droit de le faire" : A condition d'éviter les mêmes travers. Et, je le répète, ils ne savaient pas ce que c'était que la science pure. Sous la plume des clercs de toute robe elle est toujours instrumentalisée au bénéfice de la sauvegarde présumée du système. Ils ne critiquaient pas pour savoir, mais pour justifier la primauté romaine. Ca ne justifie rien, mais ça explique beaucoup.

    "Traditions cantorales qui déplaisaient aux oreilles des hommes modernes" : ça c'est intéressant. Pourquoi cette dissociation esthético-musicale entre une tradition en continuelle adaptation et une "restauration" historique qui soudain casse les codes et les habitudes acquises au nom d'une amélioration fondée sur l'histoire, ses certitudes et ses hypothèses ? C'est exactement ce qui se passe à nouveau aujourd'hui dans l'autre sens quand vous écrivez "nous nous battons pour restaurer l'antique mode de chanter etc.". Vous êtes les Guéranger et les Cardine des temps modernes ! LOL.

    Le jugement des historiens: évidemment que l'historien doit faire la critique de ses prédécesseurs (et de lui-même), mais ce jugement n'est pas d'ordre moral. Il inscrit l'objet étudié dans un contexte, en dégage la logique propre, explique comment et pourquoi on est arrivé à la situation qu'on analyse. Ce que je dénonce c'est - vue de Sirius - une certaine façon de parler (inévitable sur un blogue, concedo) qui donne l'impression
    1. que Solesmes et le Vatican étaient une mafia qui ne cherchaient qu'à détruire les restes de la tradition musicale médiévale par soif de pouvoir et pour je ne sais quels obscurs motifs. Evidemment ce n'est pas si simple. Evidemment l'attitude dénoncée "pue" un cléricalisme par rapport auquel on est aujourd'hui heureusement en mesure de prendre de la distance. Mais à Solesmes il n'y a pas que ça.
    2. qu'on est meilleur que les autres, qu'on travaille mieux, etc. Evidemment, mais bon, chut, il ne faut pas le dire trop fort.

    "Sans Solesmes on serait bien plus avancé... On est obligé de réinventer la roue" : Ce qui a permis à Solesmes et à Pie X de modifier les choses de façon si profonde, en partie à tort et en partie à raison, c'est que leurs travaux étaient portés par une double institution, puissante machine de communication et de conditionnement des mentalités : 1°l'ordre bénédictin unifié en congrégation ; 2° l'église catholique romaine fortement centralisée. Si vous étiez dans la même situation, vous auriez la même efficacité. Les Dechevrens et les Nisard auraient-ils réussi, seuls, à changer les choses de la même façon?
    Au fond, tout est là : dans le refus d'une musique unique et imposée comme un dogme. Et c'est la question de fond : pourquoi chercher à "restaurer" le chant grégorien ?
    - Dans une perspective apologétique et romano-centrée ? Alors cela justifie toutes les dérives historiques et autoritaires qu'on reproche à la restauration du grégorien par Solesme interposé, missionné à cette fin ultramontaine.
    - Pour savoir comment au chantait vraiment au Moyen-Age ? Alors cela justifie une déconstruction radicale et intelligente de la "musique unique" (diciamo cosi).
    Il est normal que le point de vue de l'historien contemporain ne puisse rejoindre celui du clerc du XIXe siècle. Je m'étonne qu'on s'en scandalise comme si les deux étaient placés au même niveau. On ne fait pas le même métier que les bons pères de l'Abbaye.
    La suite au prochain numéro. Mais je précise que malgré certains propos provocateurs j'admire et je respecte profondément tout le travail que vous faites. Sauf la volonté d'imposer ("nous nous battons pour...") où il me semble qu'on glisse à nouveau du terrain de la recherche vers celui de la pratique imposée. Trop clérical pour moi (LOL mais vous avez le sens de l'humour je crois). Pourquoi faut-il à tout prix remonter aux origines ? Pourquoi est-ce vraiment mieux parce que c'est plus ancien ? Encore la séduction du mythe des origines ?

    Ricossa a dit :
    Martin Morard a dit :
    > Il est toujours facile de critiquer les géants qui nous ont porté sous prétexte qu'on voit plus loin qu'eux.

    Oui, mais c'est aussi ce qu'ils ont fait eux-mêmes. «Chi la fa l'aspetti»

    >Ils n'ont pas cherché à reconstruire le chant grégorien pour faire de l'archéologie mais pour nourrir leur vie monastique.

    non : ils ont fait les deux, et ils critiquaient la manière traditionnelle au nom de l'archéologie et de la science. On est en droit de faire de même, non?

    > ce ne serait plus praticable aujourd'hui qu'en concert (là j'ai conscience de ne pas être diplomate).

    oui, et je vous laisse à votre opinion, tout-à-fait subjective. Chaque dimanche je prouve le contraire (et je ne suis pas seul)

    > Merde alors ! Il n'y avait plus rien !

    faux : il est prouvé que les traditions cantorales qui survivaient tant bien que mal préservaient bien d'éléments remontant au bas moyen âge, tant pour l'esprit que pour la lettre. Que tout cela, à l'époque, eût été démodé et déplaisant aux oreilles civilisées des hommes modernes, c'est un autre discours...

    > mais ils ont aussi mis sur pied la paléographie musicale

    certes, mais on tend à oublier qu'ils n'étaient ni les premiers ni les seuls. Ils le sont devenus, les seuls, par la censure qui a frappé tous les autres

    > Et je trouve très facile de démolir à plaisir le travail de Solesmes sans lequel, messieurs, que saurions nous aujourd'hui ?

    ...bien plus avancés, vu ce que faisait par exemple un Dechevrens à la fin du XIXe. On est maintenant obligés à réinventer la roue

    > Ces gens là ont travaillé dans une intention droite.

    oui

    > Ils se sont sans doute trompé. Mais ce n'est pas une attitude d'historien que de les juger de la sorte.

    pourquoi, l'historien ne peut pas juger du travail de ses prédécesseurs?

    > La critique doit plutôt chercher à savoir dans quelle mesure - c'est presque la même chose que pour la réforme liturgique de Vatican II - ils avaient conscience de l'écart entre le fruit de leurs travaux et la réalité historique,

    c'est ça qui n'est pas un travail d'historien, car ça demande de juger le for interne

    > qu'ils avaient plus ou moins trafiquée

    !!
  • On est d'accord sur la théorie des deux manières de concevoir le grégorien. J'en étais sûr, les Gruyériens s'entendent bien d'habitude avec les Vaudois....
    Quant aux statistiques et ceux qui pratiquent le grégorien "moderne", il n'y a pas que Solesme et la congrégation de France plus les monastères traditionalistes, il y a toutes les communautés de laïcs "traditionnels ou traditionalistes" qui sont sociologiquement à prendre en considération puisqu'il s'agit de communauté paroissiales ou quasi paroissiales, proportionnellement importantes. C'est un fait que ceux qui "pratiquent" le grégorien du point de vue cultuel pratiquent un grégorien "romano-solesmien" très largement dominant et majoritaire. Essayez de leur faire chanter du grégorien authentique (je veux dire tel que les musicologues proposent de l'exécuter), vous verrez la révolution !!
    J'ai découvert récemment le livre de Nisard et j'ai effectivement été étonné. Pour ce qui est de la théorie, rythme, etc. 100% d'accord. Pour Pie X vous mettez le doigt sur le coeur du problème : la centralisation et l'uniformisation romaine et tout le travail de propagande sans lequel aucune réforme ne fonctionne. Solesme a été un instrument, consentant certes, mais pas seul responsable.
    A propos des chantres, on en a eu chez nous en Suisse jusqu'au concile, sans doute un peu aseptisés par Pie X. En France, en Ariège, aussi, apparemment plus libres. Mais vous touchez juste : par la chorale et l'obligation d'un chant 'uniformisé' collectif, on monachisait le chant populaire et on tuait une certaine manière de chanter enracinée dans une tradition séculaire. N'y aurait-il pas eu de tout temps (i.e. depuis la fin du 8e siècle) deux traditions chorales parallèles, l'une séculière centrée sur les chantres et relativement plus libre, et l'autre monastique, plus contrôlée, plus réglée, où l'ornementation et les "fractiones et inundationes vocis" on été pourchassées inlassablement au moins depuis le XIIe siècle.

    Jacques VIRET a dit :
    Je ne critique pas, je constate. Je voudrais bien savoir combien de personnes aujourd'hui, en dehors de Solesmes, pratiquent le grégorien réellement comme "prière chantée". D'ailleurs, le grégorien "branché" peut aussi être prière chantée (ou expression musicale du sacré, ce qui est peut-être un peu différent). Quant à l'œuvre des moines de Solesmes, certes elle a été admirable dans le domaine de la paléographie, nous lui devons énormément. De même qu'à Dom Cardine, dont les travaux paléographiques restent incontournables ; mais son système rythmique n'est pas défendable. La notion d'"élasticité", qu'il a remarquablement mise en lumière, ruine toutes les exécutions mensuralistes, ainsi qu'il l'a démontré en réfutant la théorie du R. P. Vollaerts (cf. Études grégoriennes, 1958).
    Pour autant, les considérables mérites que se sont acquis les bénédictins de Solesmes ne leur donnent pas le droit de faire le black out sur les travaux des musicologues jésuites et laïcs, souvent plus érudits qu'eux. En 1856, au moment où s'ouvrait l'atelier paléographique de Solesmes, Théodore Nisard (de son vrai nom abbé Théodule Normand) publiait des Études sur la restauration du chant grégorien au XIXe siècle ! Et allez jeter un coup d'œil sur un autre ouvrage du même auteur : L'Archéologie musicale et le vrai chant grégorien (Paris, 1890). Vous serez étonné !
    Il est faux, par ailleurs, d'affirmer qu'au XIXe siècle "il n'y avait plus rien" en fait de tradition grégorienne. Il y avait encore la tradition des chantres, certes très dégradée mais remontant sans solution de continuité au IVe siècle. Or Solesmes (ou plus exactement Pie X en son fameux Motu Proprio de 1903) a supprimé les chantres pour les remplacer par la "chorale paroissiale" ; leurs traditions ont survécu clandestinement en quelques rares endroits, en Corse notamment. Le chant liturgique d'avant Solesmes avait conservé, à côté du "plain-chant" en notes quasi égales, deux styles rythmiques authentiquement médiévaux : le "chant rythmique" des récitatifs et le "chant métrique" des hymnes et séquences (cf. Dom Leclere, Dom Jumilhac).
    En somme, il y a deux manières différentes de concevoir le grégorien : a) comme chant liturgique de l'Église catholique ; b) comme trésor musical du Moyen Âge, parallèle à d'autres chants sacrés traditionnels, chrétiens ou non chrétiens. Toutes deux ont droit à exister. Le "grégorien de Solesmes" relève de la première manière. Il a été un moment de l'histoire, entre 1880 et 1980, mais n'est plus actuel aujourd'hui, même sous la forme "néo" de Dom Cardine et son école. Chacun, certes, est libre de l'apprécier, comme il est libre de préférer un autre style.
    notion de tempus
    Suite au dernier post sur le ryhtme tonique, je viens de lire le livre sur le rythme tonique sur internet, ainsi que le rapport de dom Parisot sur sa…
  • Je ne critique pas, je constate. Je voudrais bien savoir combien de personnes aujourd'hui, en dehors de Solesmes, pratiquent le grégorien réellement comme "prière chantée". D'ailleurs, le grégorien "branché" peut aussi être prière chantée (ou expression musicale du sacré, ce qui est peut-être un peu différent). Quant à l'œuvre des moines de Solesmes, certes elle a été admirable dans le domaine de la paléographie, nous lui devons énormément. De même qu'à Dom Cardine, dont les travaux paléographiques restent incontournables ; mais son système rythmique n'est pas défendable. La notion d'"élasticité", qu'il a remarquablement mise en lumière, ruine toutes les exécutions mensuralistes, ainsi qu'il l'a démontré en réfutant la théorie du R. P. Vollaerts (cf. Études grégoriennes, 1958).
    Pour autant, les considérables mérites que se sont acquis les bénédictins de Solesmes ne leur donnent pas le droit de faire le black out sur les travaux des musicologues jésuites et laïcs, souvent plus érudits qu'eux. En 1856, au moment où s'ouvrait l'atelier paléographique de Solesmes, Théodore Nisard (de son vrai nom abbé Théodule Normand) publiait des Études sur la restauration du chant grégorien au XIXe siècle ! Et allez jeter un coup d'œil sur un autre ouvrage du même auteur : L'Archéologie musicale et le vrai chant grégorien (Paris, 1890). Vous serez étonné !
    Il est faux, par ailleurs, d'affirmer qu'au XIXe siècle "il n'y avait plus rien" en fait de tradition grégorienne. Il y avait encore la tradition des chantres, certes très dégradée mais remontant sans solution de continuité au IVe siècle. Or Solesmes (ou plus exactement Pie X en son fameux Motu Proprio de 1903) a supprimé les chantres pour les remplacer par la "chorale paroissiale" ; leurs traditions ont survécu clandestinement en quelques rares endroits, en Corse notamment. Le chant liturgique d'avant Solesmes avait conservé, à côté du "plain-chant" en notes quasi égales, deux styles rythmiques authentiquement médiévaux : le "chant rythmique" des récitatifs et le "chant métrique" des hymnes et séquences (cf. Dom Leclere, Dom Jumilhac).
    En somme, il y a deux manières différentes de concevoir le grégorien : a) comme chant liturgique de l'Église catholique ; b) comme trésor musical du Moyen Âge, parallèle à d'autres chants sacrés traditionnels, chrétiens ou non chrétiens. Toutes deux ont droit à exister. Le "grégorien de Solesmes" relève de la première manière. Il a été un moment de l'histoire, entre 1880 et 1980, mais n'est plus actuel aujourd'hui, même sous la forme "néo" de Dom Cardine et son école. Chacun, certes, est libre de l'apprécier, comme il est libre de préférer un autre style.
  • Il est toujours facile de critiquer les géants qui nous ont porté sous prétexte qu'on voit plus loin qu'eux.
    Quand je dis que Solesme est médiéval, je ne veux pas dire qu'il chante comme au Moyen Age. Je veux dire que Solesmes s'inscrit dans un système religieux et monastique qui est fondamentalement médiéval dans son rapport à un certain nombre de principes et de comportements religieux (voir mon intervention précédente, et d'autres dans des forums de ce site). Le chant grégorien post-solesmes n'est pas seulement le fruit d'un travail archéologique, il est guidé d'abord par des principes d'éthique liturgico-théologico-monastiques qui, tout en étant typiques du XIXe siècle par certains aspects, sont en continuité avec le Moyen-Age, sans en être pour autant une reconstitution pure et simple.
    Ils n'ont pas cherché à reconstruire le chant grégorien pour faire de l'archéologie mais pour nourrir leur vie monastique. Ce sont des démarches très différentes de celles des historiens de la musique. Heureusement d'ailleurs que Solesmes n'a pas reconstitué le chant "primitif" (lequel d'ailleurs?), ou imposé à la liturgie les tentatives de reconstitution que nous livrent les grégorianistes "branchés" : ce ne serait plus praticable aujourd'hui qu'en concert (là j'ai conscience de ne pas être diplomate). J'avoue sans complexe ce point de vue d'homme du peuple moderne. Cela ne veut pas dire que j'apprécie particulièrement l'exécution solesmienne du grégorien (laquelle d'ailleurs? , il y en a plusieurs aujourd'hui...)].
    Enfin on ne peut pas dire que Dom Guéranger, Mocquereau, Cardine et les autres ont détruit ce qui restait de Moyen Age dans le chant liturgique. Merde alors ! Il n'y avait plus rien ! Ils ont cherché à reconstruire et ils sont tombés dans un certain nombre de panneaux, mais ils ont aussi mis sur pied la paléographie musicale et remis un peu d'ordre dans une sacrée salade. Honnis soit qui mal y pense. Et je trouve très facile de démolir à plaisir le travail de Solesmes sans lequel, messieurs, que saurions nous aujourd'hui ? Ces gens là ont travaillé dans une intention droite. Ils se sont sans doute trompé. Mais ce n'est pas une attitude d'historien que de les juger de la sorte. La critique doit plutôt chercher à savoir dans quelle mesure - c'est presque la même chose que pour la réforme liturgique de Vatican II - ils avaient conscience de l'écart entre le fruit de leurs travaux et la réalité historique, qu'ils avaient plus ou moins trafiquée pour répondre à des finalités contemporaines. Encore une fois il y a un contexte ecclésiastique où objet et sujet sont impliqués l'un dans l'autre qui crée un cadre épistémologique très différent de celui dans lequel évolue un savant "indépendant" ou "professionnel". Tout cela se vérifie dans l'histoire ecclésiastique, l'histoire de la liturgie, du chant sacré, de la théologie, etc.
    Je concluerai avec le poète : "Laudamus veteres sed nostri utimur annis".

    Jacques VIRET a dit :
    Merci pour ce texte de Chrodegang : très intéressant en effet. Mais mettre Dom Saulnier et Dom Cardine dans le même panier que les théoriciens du Moyen Âge, comme s'il n'y avait pas eu un certain Dom Guéranger entre deux, "leur père à tous", me paraît une idée assez bizarre... Nous savons bien que Dom Guéranger a été non pas le restaurateur de la tradition issue du Moyen Âge, mais le destructeur du peu qui en restait, détestable héritage de l'Ancien Régime selon lui. Voyez l'exécution du choeur de Solesmes notée par un témoin vers 1880 et annotée comme une partition de Gounod !! Même Dom Cardine reste implicitement inféodé à Dom Guéranger. Je l'ai entendu dire un jour : "Ce n'est pas bon, car contraire au caractère hiératique qui DOIT être celui du chant liturgique", point final (Dom Pothier a écrit la même chose dans son livre). D'ailleurs, la théorie rythmique de Dom Mocquereau se réfère en réalité directement (ce qui apparaît en catimini dans une ou deux notes de bas de page) à celle du musicologue Hugo Riemann destinée à la musique classique. Elle est juste saupoudrée de termes médiévaux pour donner le change : "ictus", "arsis/thesis", etc. Il n'y a aucun rapport entre l'ictus de Dom Mocquereau et l'ictus médiéval ; cependant le bon peuple, et même quelques savants, n'y voient que du feu et prennent les vessies pour des lanternes ! Ceci dit, on a le droit d'aimer et de défendre le "style de Solesmes" en tant que "prière chantée" de moines modernes, mais pas de le présenter comme quelque chose de médiéval. L'un de ses grands torts est quand même de négliger complètement l'accent latin, fondement véritable (et non les neumes !) du rythme chanté.
    À part ça, je regrette de ne pas avoir le temps de participer plus régulièrement aux discussions très érudites de ce forum.
    • Je me permets d'intervenir sur cette discussion déjà ancienne (plus de 10 ans). Je partage assez les propos de Monsieur Viret (j'ai lu votre livre-CD sur le chant grégorien) surtout sur la vision Solesmienne qui est totalement artificielle et sur l'erreur d'appréciation du caractère de l'accent latin. Les théories de Solesmes (et même de Dom Pothier) ne sont qu'une réaction aux pratiques de l'ancien Régime : la forme des notes n'indique pas leur valeur (ce n'est pas complètement faux) et l'accent latin est léger et bref. Mais, est-ce une démarche scientifique et historique que de fonder un nouveau système et une nouvelle esthétique musical sous le seul prétexte de tourner le dos à l'Ancien Régime ? Puisque vous évoquez le concile Vatican II, il m'est facile de dire qu'on a fait à l'époque la même erreur que Solesmes : la réforme liturgique n'est qu'une réaction de destruction et de négation de tout ce qui s'est fait avant 1962 : on voit où cela nous mène aujourd'hui...

      Il me semble assez fragile de prétexter l'aspect monastique et son ascetisme musical (ce n'est pas vraiment ce que dit Saint Bernard pas plus qu'un Hucbald de St Amand ou même Amalaire de Metz me semble t-il) pour justifier la théorie rythmique (ou plutôt anti-rythmique de Solesmes) et cette esthétique vocale de "chant des catacombes" (cette manière de susurer le grégorien avec des voix non timbrées).

      Pourquoi Solesmes n'aurait pu retrouver l'interprétation médiévale telle qu'en parle les théoriciens de l'époque, ou du moins s'en rapprocher ? Je ne pense pas qu'il faille dissocier l'aspect liturgique et l'aspect musical. Nous sommes depuis le Mótu Proprio de St Pie X (et déjà du temps de Dom Guéranger) prisonnier d'une vision et d'une esthétique liturgico-spirituelle tout à fait moderne. Mais si l'on regarde en arrière, alors, juger que le chant liturgique aujourdhui n'est digne que de telle esthétique, c'est nier aux chants des siècles passés un caractère liturgique et priant. On pouvait tout à fait restaurer le chant grégorien tel qu'il était au Moyen-âge et nourrir la vie monastique. Ce n'est pas incompatible et on peut chanter le grégorien différemment qu'à Solesmes et dans le cadre liturgique, sans pour autant faire de l'archéologie ou du "grégorien de concert" (terme stupide car le chant grégorien n'est pas un chant fait pour le concert). Il faut simplement ouvrir ses œillères et sortir de ces conceptions spirituello-philosophiques modernes.

      La question de l'interprétation du grégorien dans le cadre monastique est surtout liée aux acteurs de ce chant. Il est bien évident que le chant de toute une communauté n'est pas trop compatible avec l'ornementation et une rythmique spécifique. Mais la question que je me pose c'est : au Moyen-âge dans les monastères et abbayes qui chantaient quoi? Si le Propre de la messe et les tons ornés de l'Office sont l'apanage de la schóla et du chantre soliste, alors aucun problème pour faire les répercussions et les ornements type oriscus et quilisma. Mais si c'est toute une communauté (150 ou 200 moines ou moniales) qui chantent ce répertoire alors en effet le style de Solesmes à notes égales et sans ornementation pourrait se justifier. Par contre, si l'on parle du grégorien des cathédrales et des paroisses, alors avec une petite schóla, absolument rien ne justifie l'adoption des principes d'un chant à notes égales type méthode de Solesmes. 

  • Merci pour ce texte de Chrodegang : très intéressant en effet. Mais mettre Dom Saulnier et Dom Cardine dans le même panier que les théoriciens du Moyen Âge, comme s'il n'y avait pas eu un certain Dom Guéranger entre deux, "leur père à tous", me paraît une idée assez bizarre... Nous savons bien que Dom Guéranger a été non pas le restaurateur de la tradition issue du Moyen Âge, mais le destructeur du peu qui en restait, détestable héritage de l'Ancien Régime selon lui. Voyez l'exécution du choeur de Solesmes notée par un témoin vers 1880 et annotée comme une partition de Gounod !! Même Dom Cardine reste implicitement inféodé à Dom Guéranger. Je l'ai entendu dire un jour : "Ce n'est pas bon, car contraire au caractère hiératique qui DOIT être celui du chant liturgique", point final (Dom Pothier a écrit la même chose dans son livre). D'ailleurs, la théorie rythmique de Dom Mocquereau se réfère en réalité directement (ce qui apparaît en catimini dans une ou deux notes de bas de page) à celle du musicologue Hugo Riemann destinée à la musique classique. Elle est juste saupoudrée de termes médiévaux pour donner le change : "ictus", "arsis/thesis", etc. Il n'y a aucun rapport entre l'ictus de Dom Mocquereau et l'ictus médiéval ; cependant le bon peuple, et même quelques savants, n'y voient que du feu et prennent les vessies pour des lanternes ! Ceci dit, on a le droit d'aimer et de défendre le "style de Solesmes" en tant que "prière chantée" de moines modernes, mais pas de le présenter comme quelque chose de médiéval. L'un de ses grands torts est quand même de négliger complètement l'accent latin, fondement véritable (et non les neumes !) du rythme chanté.
    À part ça, je regrette de ne pas avoir le temps de participer plus régulièrement aux discussions très érudites de ce forum.
  • Il est urgent de mettre ces évolutions musicales dans leur contexte historique. Quel a été l'impact de la diffusion des ordres mendiants dans l'abandon du vieux romain par "écrasement" sous le poids du chant 'grégorien' dominant ?
    Les dominicains interdisaient les ornementations adventices. Et les franciscains ? tous deux, surtout les franciscains, sont censés avoir adopté les livres romains. La réforme dominicaine d'Humbert de Romans demande encore bien des analyses. Au niveau textuel on voit que c'est un travail complexe qui marie plusieurs traditions liturgiques. Je doute que le répertoire musical se réduise à une simple hybridation romano-cistercienne. De quel livre parle-t-on?
    N.B.
    Chapitre général de Londres (1250) : " Prohibemus. ne fratres nostri cantent nisi in ea voce in qua cantus inchoatus est. non in octava."
    Chapitre gén. de 1306 : "Cum ex diversitate cantus multa deformitas appareat, quod quidem regule nostre manifestius repugnat, districte prohibemus, ne in conventibus nostris in choro cantetur quippiam vel legatur, nisi quod legendum fuerit vel cantandum secundum nostri ordinis instituta."
    La même chose chez les chartreux, etc.. Donc l'idée est que ce n'est pas Dom Saulnier qui est prisonnnier de son statut de moine de Solesme. Il est moine tout simplement, inscrit dans la continuité de la tradition médiévale, dominée par les remarques de saint Augustin dans les Confessions notamment, de Nicetas de Remesiana et de toute une tradition patristico-monastique qui prône la Régularité : de la vie, du comportement, du chant etc. Le chant a pris deux directions selon qu'il est monastique ou "séculier" c'est-à-dire libéré des contraintes de l'uniformité imposée par la vie commune et l'exécution commune d'un même répertoire, dans un ensemble de communauté. etc. Je pourrais vous citer le texte d'Aelred de Rievaulx qui peste aussi contre les risques de l'introduction de ces ornementations nouvelles.
    Il y a deux "spiritualités", deux ethos qui embrassent non seulement le chant et l'exécution musicale, mais les modes de vie, le rapport à l'autorité, etc. Tout cela bien sûr "à la louche".
    Merci de m'aider à nuancer ce point de vue. Disputandum



    La polyphonie est formellement interdite au plus tard au XIVe s. Parler d'ornementation du chant chez les dominicains me paraît peu crédible. Mais je suis preneur de tout élément probant contredisant cela.

    Richard Llewellyn a dit :
    Concernant les tempis des ceremoniaux, ce qui est certain, c'est que c'est que les livres tridentins sont mot pour mots ceux de la curie de 1474, et même plus tôt. C'est au chapitre sur les chantres et l'orgue.
    Mais alors, on se rapproche "dangereusement" de la fin du grand schisme et donc de l'abandon total du vieux romain.

    Si j'ai bien compris, les livres dominicains ont une double source, et romaine, et cistercienne.

    On a donc la une double tradition qui va effectivement dans le même sens.

    Je ne pense pas que l'on soit si loin de Dom Cardine. Il pose quand même la question des ornementations pour les oriscus, quilisma, etc. En revanche il n'a pas explicitement posé la question du tempo, car n'a pas vraiment remis en cause Dom Mocquereau, et l'esthétique Debussiste. A l'époque aussi, on ne voyait pas encore l'axe Gaules-Antioche/Rome-Alexandrie

    Je pense, en revanche, que Dom Saulnier cherche à aller beaucoup plus loin. Il admet que Mocquereau etc ont été bien embêtés lorsqu'ils ont trouvé les manuscrits de vieux-romain... Mais pour moi il reste prisonnier de son "statut" de moine de Solesmes.

    Si le gregorien est bien une fusion du chant vieux-romain et du chant gallican, comme il l'explique dans sa thèse, alors c'est peut-être du côté de Dom Jeannin et Dom Parisot qu'il faut regarder?







    Jacques VIRET a dit :
    L'antiphonaire de Saint-Pierre est du vieux-romain, non du grégorien. Je doute que Jérôme de Moravie connaissait ce répertoire ! Quant aux Scolica enchiriadis (fin IXe siècle), il s'agit d'une démonstration théorique, d'ailleurs très intéressante, entre maître et élève. Il y est question de doubler les valeurs, mais pas de tempo, ni d'offices liturgiques. Dans le même esprit, il y a Aribon au XIe siècle (rapports de durée proportionnels, mais pas d'idée de tempo non plus). S'agissant de la Commemoratio brevis, contemporaine des Scolica, je ne l'ai plus précisément en mémoire. Je me souviens qu'elle parle de rythme et de percussion, mais y est-il question de tempo ? Un autre traité prescrit de chanter l'organum lentement (il ne faut pas oublier qu'il était improvisé). Et Gui d'Arezzo écrit qu'on ralentit à la fin des phrases chantées ; ce ralentissement est intégré à la notation dans de nombreux motets du ms. de Montpellier (1250-1300).

    Avec tout ça, nous sommes très loin de Solesmes et de Dom Cardine !! Je serais intéressé de savoir une fois ce qu'on pense, dans votre cénacle, de la "valeur syllabique moyenne"...
  • L'adaptation du "tempo" aux circonstances liturgiques remonte très haut.
    Voyez CHRODEGANG DE METZ (+766), Regula canonicorum, 50 (Cantores), PL 89, 1079 : « Et providendum est illis [cantoribus] quando temperate, quando submisse divinum agatur officium; scilicet ut secundum numerum clericorum, et officii qualitatem, et temporis prolixitatem, tantum protendant, et voces moderentur caeterorum. Sonum etiam vocalium litterarum bene et ornate proferant. Hi vero qui hujus artis minus capaces sunt, donec erudiantur melius, convenit ut sileant, quam cantare volendo quod nesciunt, aliorum voces dissonare compellant. »

    Quant à savoir ce qu'il y a sous chacun de ces mots... Mesdames et mesieurs les musicologues, je vous écoute !
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