Critique de la "sémiologie cardinienne"

Certes émouvant, l'hommage de Dominique Crochu à Dom Eugène Cardine ne doit pas nous empêcher d'avoir pour perspective le progrès des sciences, notamment de la philologie musicale et de la musicologie historique.

Voici quelques lignes d'un futur chapitre de mon ouvrage en préparation, Gregorius fabricator cantus ?, qui invite à faire évoluer la sémiologie vers un usage plus raisonné de la simple philologie et de l'édition critique.

En annexes, quelques transcriptions de pièces grégoriennes, toujours largement absente des éditions usuelles... Faudra-t-il encore attendre la fin du siècle pour développer de véritables éditions critiques, alternatives au sempiternel Graduel Triplex, faussement renouvelé par un Graduale Novum plus que décenvant, car ne rendant absolument pas compte des textes médiévaux des sources les plus représentatives d'une tradition qui n'est pas seulement écrite mais orale, non pas singulière mais plurielle, comme la plupart des grandes sommes tardo-antiques ou médiévales ?

Extrait

Gregorius fabricator cantus (Jean-François Goudesenne)

chap. 6 à propos de la Paléographie musicale

Écueils de la sémiologie « cardinienne »

 

L’habitude s’est installée depuis une cinquantaine d’années de séparer de la paléographie musicale, la sémiologie grégorienne, qui relève plus spécifiquement du domaine du chant grégorien.[1] Cette dernière repose en effet sur un malentendu car, fondée en quelque sorte par Dom Cardine, l’enseignement qui en a résulté s’est figé en se limitant au corpus de quelques manuscrits, qui, on le démontrera de nouveau, ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la tradition. Cardine entrait moins dans les détails de la philologie en elle-même.[2] Sa vision du chant grégorien restait dans le droit fil de Solesmes et cette conception de la « restauration », était caractéristique du xixe siècle, malgré une certaine ouverture quant à son interprétation. Il ne développait guère de considérations sur les relations entre les témoins de la tradition rythmique, largement valorisés lors de la publication du Graduel de Chartres, ni sur les différences de fond qu’il pouvait y voir entre les principales notations, Laon et Chartres, Saint-Gall et les livres aquitains. [3] De plus, bien que respectable dans ses fondements, cette sémiologie ne fut pas toujours satisfaisante sur le plan intellectuel, car elle a trahi le manque d’ancrage de la musicologie dans les réalités culturelles du monde carolingien, ignorant par exemple le positionnement de centres pourtant majeurs quant à l’écriture ou à la liturgie, se contentant dans cet espace de la France du Nord, des seuls évêchés de Laon et de Chartres, n’accordant guère de considérations aux sources émanant des évêchés voisins de Noyon et Soissons, à la métropole de Reims ni aux grands monastères royaux et impériaux de Corbie, Tours ou Saint-Denis.

Une focalisation sur Saint-Gall et Einsiedeln semble aussi trahir un adossement des postures musicologiques à cette vieille idée d’une restauration, ancrée dans le xixe siècle, peu encline à repenser autrement la notion de texte, de corpus musical, à l’aune des progrès de la discipline apportés par les sciences historiques, la linguistique et l’ethnomusicologie des traditions orales.[4] Une posture qui se fonde d’ailleurs sur l’hypothèse d’invariance du corpus « grégorien » antérieur à sa codification écrite, aujourd’hui difficilement défendable.[5] À la différence d’Hourlier, Cardine n’a pas vraiment vu que la tradition mélodique était divisée, considérant volontiers le témoignage des manuscrits comme une réalité « une ».[6] Il était encore très attaché à une unanimité presque absolue de la tradition manuscrite, dont le niveau de différenciation ou de division, n’avait pas vraiment été évalué – et ne semblait guère l’être.

Pourtant essentielle et indispensable, la notation ne suffit donc pas à tout expliquer, surtout si elle est isolée du contexte, notamment celui de la transmission mélodique. Marie-Noël Colette insiste sur le fait que l’exégèse des notations neumatiques, ne peut que s’appuyer sur les variantes dans les leçons concordantes, renvoyant à priori au même donné musical.[7] La science élaborée par le vénérable Dom Cardine n’est donc qu’un point de départ, précieux, mais depuis longtemps dépassé, car limité aux indications rythmiques et mélodiques de témoins qui relèvent d’un contexte trop spécifique. Une véritable sémiologie, plus critique encore que paléographie musicale est appelée à se développer par cette approche plus critique de la transmission.[8] On ne pourra donc pas élaborer de science solide si on ignore les modèles de transmission des chants, qui échappent largement à notre culture écrite moderne. Le travail de mise en concordance des témoins manuscrits, qui vise à mettre en regard les analyses sémiologiques avec l’édition critique du texte, reste considérable ! L’hypothèse d’une antériorité d’une refonte romano-neustrienne sur un remodelage romano-austrasien (peut-être pas systématique pour tous les répertoires) invite donc à un examen critique en externe, avec d’autres centres, d’autres aires culturelles, la seule cohérence d’un manuscrit neumatique en lui-même étant alors vraiment secondaire dans cette nouvelle démarche d’édition.

En préparant l’édition critique d’un corpus significatif, nous voyons très vite que les préoccupations de cette fausse science qu’on appelait sémiologie grégorienne, est d’avoir trouvé un petit noyau de sources, certes très importantes dans l’histoire, mais qui ont surtout présenté l’avantage de concorder avec les choix éditoriaux finalement assez arbitraires de l’édition Vaticane, dont les finalités étaient davantage pratiques que véritablement scientifiques, apportant sans trop de complications une édition pratique à l’usage des paroisses et des chorales liturgiques souhaitant renouer avec le chant grégorien. Or, l’ecdotique et l’édition critique ont de tout autres niveaux d’exigence scientifique, devant gérer pléthore de sources et construire des données paléographiques signifiantes sur le plan historique, indépendantes du prisme du jugement de principe d’une « meilleure source », opposée à une source « excentrique » sinon « corrompue ». Nous proposons de rénover cette approche critique des mélodies grégoriennes comme de la sémiologie - qu’on préfère renommer paléographie musicale par :

- L’étude de quelques centres importants historiquement dans la profondeur du temps, les mieux desservis étant Arras, Corbie, Tours, Soissons, Saint-Denis, Noyon, Canterbury, Worcester et Winchester ; les comparer à leur périphérie, représentée par de nombreux témoins et marquant des identités régionales plutôt fortes

- l’hypothèse de remaniements multiples non unidirectionnels, qui laisse des doutes quant à la fiabilité d’une branche exclusivement représentative d’une « authenticité rythmique »

- Le constat de l’ampleur des similitudes comme des différences dans l’espace géographique européen, notamment dans les trois pôles que sont les îles britanniques, la Francie du Nord et la haute Italie[9]

- L’appréhension des notations dans une plus grande continuité avec les témoins des xiie et xiiie s. qui sont encore pourvus de neumes, malgré l’épaisseur d’une plume plus angulaire ou carrée

- Le repositionnement de la sémiologie des notations dans le contexte de la transmission, des remaniements de corpus multiples et complexes, dans les profondeurs de champ qu’apportent les comparaisons avec les répertoires équivalents dans d’autres traditions liturgiques parallèles (ambrosien, paléo-romain, traditions locales franques ou gallicanes, au sens large…).

 

B LES DOGMES CONFRONTÉS AUX RÉALITÉS PHILOLOGIQUES

 

Comme nous l’avons déjà dénoncé à propos de la philologie en général, il nous faut sans cesse un recul critique vis-à-vis d’une attitude dogmatique, qui a pour caractéristique de relever davantage d’une idée théorique transcendante, construite à priori, que d’un examen concret et immanent des sources.[10] Or, voici quelques exemples qui nous laissent perplexes quant à plusieurs idées reçues, notamment cette hypothèse d’une « tradition rythmique authentique », établie par Dom Mocquereau il y a bien longtemps, mais toujours bien vivace.

 

Problèmes méthodologiques du référent éditorial

 

Nous avons pris pour habitude normative cette modélisation sur l’édition Vaticane et les notations « carrées » du xiiie siècle, référent principal des éditions usuelles, en les doublant, dans la seconde moitié du xxe siècle si ce n’est avant, par une projection excessive des données de la notation de Saint-Gall sur des écritures neumatiques, d’un caractère et d’une nature assez différents des notations sur portées.[11] Or il s’avère que les points de référence de la sémiologie grégorienne sont bien plus instables et pas aussi sûrement établis dans les détails mélodiques, dans la mesure où ils se sont adossés sur une édition non pas critique, mais pratique, avatars de la Vaticane, surtout le Graduel Triplex, le CAO comme le Graduel critique, ce dernier ne présentant guère de transcriptions. Ces éditions ayant procédé de façon trop mathématique, n’apportent pas toutes les richesses philologiques et culturelles liées à une observation réellement critique et archéologique – très difficile à mener il est vrai pour un hypertexte à tradition aussi pléthorique.  

L’édition Vaticane induit au niveau de certaines leçons, des illusions d’optique qui résultent de choix éditoriaux ayant pourtant privilégié la branche germanique du chant grégorien. Plusieurs exemples flagrants révèlent une véritable restitution très « orientée », qui ne reflète pas celles d’autres traditions pourtant bien établies, comme nous le montrons ici, l’assise dans le temps, l’espace géographique et l’importance historique de certains centres venant abolir toute idée de décadence ou de corruption dans d’autres branches. Mais l’édition Vaticane, à la suite de celle de Ratisbonne, n’est pas la seule à poser des problèmes méthodologiques : les transcriptions modernes, peuvent elles aussi constituer un véritable obstacle à la compréhension des notations anciennes, car elles n’incitent pas le lecteur à prendre l’habitude de les lire véritablement, ni de les comparer : elles aboutissent très vite, par ces lourds tableaux de notes rondes, à un oubli de paramètres aussi essentiels que sont la duction, la direction mélodique, mais surtout la structure rythmique, le phrasé comme les groupements. Transcrites en notes rondes sur portée en clé de sol, bien des notations neumatiques du xiie s. sont ainsi mises sur le même plan que les notations carrées standard, leurs principes n’étant qu’informatifs, érigeant alors en roi ce concept de « neume-note », doublé d’une vision trop fixe des échelles comme de l’ornementation, concepts totalement ennemis de la réalité orale-écrite de ces répertoires !

Quelques transcriptions de pièces donnant en synoptique plusieurs systèmes de notations qui nous intéressent ici, permettront d’aborder plus largement les questions paléographiques, qu’il est parfois utile d’associer aux répertoires et non seulement à des données coupées du contexte musical, par exemple le Puer natus (annexes not. 5), qui montre des nuances plutôt variées au niveau de la ligature des neumes, y compris dans les notations plus tardives, sur portée –exemple assez convaincant il me semble pour révéler la nette insuffisance des transcriptions en notes rondes.[12] Le Gr. Speciosus forma (annexes not. 6) offre un des plus beaux exemples dans la problématique de transmission par un remaniement modal, qui illustre la difficulté de trouver les concordances diastématiques avec les témoins neumatiques anciens : l’exemple donné pour illustrer la notation paléofranque du sacramentaire de Compiègne chez Corbin/Arlt,[13] probablement extrait de la Vaticane, ne convient pas, en témoignent les leçons de nombreux témoins français et anglais, qui présentent cette pièce non pas en deutérus, comme le classe le tonaire de Dijon, mais bien en protus. Un décrochage dans la dernière phrase, qui n’épargne pas Saint-Gall, qui s’est accommodée d’une adaptation remaniée in fine. Un point intéressant qui soulève probablement une modalité problématique aux yeux des théoriciens.[14] Pour l’examen des traditions mélodiques d’un chant, ce sont donc bien ici des sources diastématiques qui apportent des éléments critiques aussi pertinents que les notations neumatiques a campo aperto.[15] Voici quelques détails des groupements sur hominum, diffusa est, verbum bonum, regi, calamus (annexes not. 5).

Quelques transcriptions : Rameaux : Ante sex dies ; Pâques, antienne de fraction Venite populi

22%20ante%20sex%20dies%201.zip

13%20venite%20pop.zip



[2] études Grégoriennes 23 (1989), v. l’introduction puis la nécrologie de Dom Jean Claire.

[3] PalMus xi (1912).

[4] Peter Jeffery, Re-Envisioning Past Musical Cultures: Ethnomusicology in the Study of Gregorian Chant, Chicago, 1995 ; Aubert 2010.

[5] Viret 1999, p. 11.

[6] Cardine 1977, p. 191-192.

[7] Colette 2003, p. 30-31.

[8] Déjà souhaitée par Marie-Noël Colette, Ibid., p. 30.

[9] La péninsule ibérique n’est pas à négliger, notamment avec la notation de Silos qui présente bien des points communs avec les notations paléofranques et « françaises », notamment Corbie ; mais elle dépasse le cadre de cet ouvrage.

[10] V. Leo Treitler, « Reading and Singing : on the Genesis of Occidental Music-Writing », Early Music History 4 (1984), p. 135-208 ; Colette 2003, p. 16.

[11] Arlt 2012, p. 64.

[12] Ajouter les transcriptions de Sevestre (CT) et de Karp 2008. Se reporter aux sigles : Îles Britanniques Vin, Vor, Cant,  Iri ; Neustrie : Coc 0, Den, Vaa, Eli, Cor, dont Val de Loire, Tur, Mor, Niv ; Péninsule italique : Vec, Ast, Rav, Ben ; Contre-témoins : Vaticane, La, Gal/Ein, Dij, Cha, etc.  

[13] Corbin 1977.

[14] Notamment dans l’intonation qui fait intervenir le G dans le tonaire digraphte de Dijon, PalMus t. 8, p. 162.

[15] La confirmation par les tonaires pourrait nous renseigner de l’état de fait d’une situation déjà antérieure aux notations

 

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Comments

  • Chers collègues Ricossa et Diaz-Blanco

    Votre réaction à mon humble billet, qui visait avant tout à animer le forum par une discussio (au sens antique et universitaire), est pour moi une marque de considération.

    J’en profite alors pour vous répondre sur quelques points, bien qu’une conversation orale serait plus adaptée.

    Pas plus qu’hier j’écoutais sur France musique à l’émission hebdomadaire de musique ancienne, un de vos compatriotes (vous évoquez les Helvètes), Jean-Marc Aymes, éminent claveciniste et organiste qui rapportait que Froberger n’avait jamais imprimé ni édité ses œuvres que nous trouvons aujourd’hui magnifiques, et qu’à l’époque, ces œuvres, nourries par l’improvisation, n’étaient jamais jouées à l’identique… et que ce ne sont que des éditions posthumes qui nous restent !

    Même si pour le grégorien le contexte n’est pas le même, je veux en venir au fait que, l’étude de la transmission que nous pouvons désormais construire à la suite de deux siècles d’érudition « grégorienne », va venir évidemment modifier le concept que nous avons du chant grégorien comme modèle écrit fixe et stable. Les mérites de Dom Cardine est d’avoir développé une pensée musicale, dans la continuité du contexte historique de la restauration. Est-ce qu’honorer sa mémoire ne serait-il pas de poursuivre une démarche où la science musicologique, qui a considérablement évolué en plus de cinquante ans, s’associerait à une véritable rénovation des méthodes, éditoriales et herméneutiques ?   

    M. Ricossa, votre typologie des éditions me semble séduisante : mais le problème, c’est qu’on ne peut pas toujours déterminer à l’avance les méthodes, qui dépendent elles-mêmes du type de transmission : évidente pour le Puer natus, l’édition critique sera bien plus problématique pour le Collegerunt ou les antiennes des Rameaux, qui ne présentent pas du tout le même degré de stabilité… Soyons modeste vis-à-vis des scribes : quel musicologue pourra-t-il juger du bien fondé d’une version, de variante, d’erreurs de transmission ? Sur quels critères ? Comment expliquera-t-il l’hypothèse de remaniements ? De fusion de traditions locales ?

    Je ne pourrai développer dans ce billet suffisamment de points : prenons par exemple votre division des aires culturelles européennes, ces familles, évoquées dans le Congrès Aiscgre de Vérone en 1999. Après des années d’étude et de transcriptions de sources variées, ces divisions géographiques ne fonctionnent pas ; la classification des notations ne conditionne pas forcément les variations du texte. Klosterneuburg a plus de variantes en commun avec la Lorraine qu’avec l’Alémanie. Deux sources peu distantes comme Noyon et Saint-Maur, seront assez distinctes. Et je ne parle pas des traditions italiques, encore plus problématiques. Vous savez aussi que les nombreuses similitudes entre les témoins anglais et français à la fin du Xe s. invitent à la prudence dans l’affirmation de conceptions national(ist)es : devrais-je, parce que français, vanter les sources françaises ? Allons donc, un peu de sérieux !

    Je tenterai dans de prochaines contributions à montrer à l’évidence que :

    -          Les notations et leur typologie ne déterminent en rien la variance (mélodique) des traditions

    -          Qu’il nous faut penser à un autre modèle dégagé des dogmes de l’invariance des mélodies

    -          Que la tradition sangallienne, par approche critique comparée, indique de nombreuses évidences de remaniements de la fin de l’époque carolingienne, voire ottonienne (regardez de près les textes et les mélodies dans la Messe et plus encore dans l’Office)

    -          Nous pouvons construire une critique historique à partir des sources en interprétant les mécanismes des similitudes et des différences entre les aires culturelles européennes : mais cela représente un travail énorme, qu’il ne faut pourtant pas négliger. C’est là qu’il y aura beaucoup à faire !

    Je ne tiens pas à porter seul un jugement sur les travaux de l’Aiscgre, que je respecte. Ce que je veux simplement souligner est, que les bases conceptuelles sur lesquelles ont été fondées ces entreprises, ne sont pas sûres et surtout, pertinentes par rapport à la nature profonde, à l’ontologie même de la tradition du chant liturgique latin. Les longues études des sources, les comparaisons non seulement avec le vieux-romain, mais encore bien d’autres témoins dans les traditions latines, invitent les pholologues a travailler autrement : pensez-vous donc que les éditeurs de textes anciens comme les Annales Regni Francorum ou de quelque auteur comme Grégoire de Tours, maintiennent ces pratiques éditoriales sur les mêmes critères (bon ou mauvais manuscrit, majorité des témoins, orthographe normée, que sais-je ?). L’érudition grégorienne doit absolument prendre en compte des approches, qui sont plus avancées chez les liturgistes (Deshusses, Chavasse)…

    Enfin, pour terminer, peut-être la force des travaux bénédictins réside dans l’enracinement dans une tradition séculaire et une approche peu personnalisée, mettant sous le boisseau convictions personnelles, passions et préférences esthétiques : de même, nos pensées peuvent se vivifier et se rénover quand elles se laissent porter par les sources, dans le respect comme écrivait Van der Werf, de la tradition des scribes et copistes médiévaux. Il me semble essentiel d’inscrire le grégorien dans le contexte culturel tardo-antique et médiéval : textes à témoins pléthoriques, traditions parallèles, multiplicité des auteurs, attributions symboliques, pseudo-auteurs et continuateurs, remaniements, réécritures… Pourquoi ancrer ce grégorien dans un schéma culturel d’une autre époque ? Pensez-vous sérieusement que les chantres suivaient de près les manuscrits neumés pendant l’exécution au Xe s. ?

    Les points de vue que je vais défendre dans mes publications à venir ne résultent pas tant de points de vue strictement personnels, mais de l’observation raisonnée de la transmission au travers des sources, des témoins, inscrite certes dans une tradition de musicologie dégagée de l’appareil dogmatique des études grégoriennes du XIXe siècle. Relisez Jeffery dans son article comparant Rome et Jérusalem : si le grégorien s’inscrit dans une tradition orale-écrite, il faut absolument que nous, grégorianistes, renouvelions nos méthodes, pour faire converger la sémiologie vers la philologie. Un récent colloque de l’IRHT apporte d’ailleurs des éléments de réflexion sur la nature du TEXTE, de l’Auteur, qu’il me semble utile d’étudier.

    http://www.irht.cnrs.fr/fr/agenda/l-editeur-de-textes-est-il-un-auteur

     

     

    En toute amitié,

    Jean-François Goudesenne  

  • M. Goudesenne, je crois que le professeur Ricossa, un chercheur et, surtout, quelqu'un qui pratique vraiment le chant grégorien, vous a clairement expliqué la réalité des choses. Il a osé vous dire ce que nombreux membres de ce réseau pense de ce que vous écrivez (le professeur Ricossa a toute ma gratitude!). Nul n'est contre la discussion, l'échange enrichissant, la critique constructive pour avancer, améliorer, progresser... Il existe sur Musicologie Médiévale, un groupe qui échange à propos des restitutions mélodiques, et souvent, on propose une restitution du Graduale Novum pour commenter, améliorer certaines propositions: nous sommes tous ouverts au changement, je vous rassure. Quand nous chantons-prions dans le contexte naturel du chant grégorien (la liturgie, je ne sais pas si vous voyez...) nous sommes bien conscients des imperfections du Graduale Triplex ou Novum. Ce sont des éditions pratiques, comme le professeur Ricossa a, à juste titre, indiqué. Si ces deux éditions vous gênent, n'attendons pas la fin du siècle, allez-y, je vous invite à publier la vôtre, Monsieur. Mais, s'il vous plaît, ne nous proposez pas une édition, avec des restitutions plus "correctes" et en appendice une liste infinie de variantes (impraticable, sinon dans le cadre d'une seule "famille"): je sais, c'est très tentant, mais il nous faut un livre de chant maniable.

     

    Le professeur Ackermans a eu la gentillesse de vous informer du travail du groupe de chercheurs de l’AISCGre (désolé, il y a certains disciples du vénérable Dom Cardine) sur les restitutions du Graduale Romanum publié dans Beiträge zur Gregorianik depuis 1996… Je ne sais pas si pour vous, ils sont à la hauteur. Pour moi, ce groupe de travail a toute mon estime et mon admiration. Le Graduale Novum reste perfectible, certes, mais c’est une édition magis critica que celle de 1908. Je suis entièrement d’accord avec lui.

     

    Mon ami Dominique Crochu vous a écrit, dans son commentaire, à propos du travail de mise en concordance des témoins manuscrits: "la méthodologie est donc au point. Le travail, de ce fait, est réalisable sans difficulté particulière. Je considère ce problème comme résolu". Il a été assez clair... Si son travail vous intéresse, si vous êtes vraiment soucieux du progrès des sciences, vous pouvez lui écrire. Il vous montrera volontiers ces fameux tableaux synoptiques.

     

    D'autre part, j'ai l'impression que vous vous servez, pour la promotion de votre livre, de l'hommage "émouvant" à Dom Cardine, ce qui m’a fortement dérangé. Dominique Crochu et moi-même (eh oui, j'ai signé aussi comme auteur de cet hommage, Monsieur) souhaitions reconnaître, à travers un enregistrement d'un de ses cours, l'importance d'une des figures emblématiques de l'histoire de la restauration (et de l'interprétation) du chant grégorien, si vous permettez. Je suis entièrement convaincu que si Dom Cardine était encore vivant, il se serait clairement surpassé. Mais qu'est-ce qu'a fait Dom Eugène Cardine de bien pour le chant grégorien, Monsieur Goudesenne? Un vénérable moine de Solesmes qui aurait pu s'occuper de bien ranger les clichés de l'Atelier de Paléographie et laisser travailler les vrais chercheurs. Sa Sémiologie GREGORIENNE? Ce bouquin traduit en 12 langues qui est juste "un point de départ, précieux" pour l'étude et l'interprétation (pratique, souvenez-vous, Monsieur Goudesenne) des manuscrits? Un moine qui a dirigé de nombreuses thèses doctorales, qui a donné des centaines de cours de chant qui ont permis de découvrir l'interprétation du chant grégorien à la lumière des neumes (certes, seulement de quelques manuscrits)? Dom Cardine version XXI s. vous aurait épaté, j'en suis certain, mais il n'était pas immortel, vous savez, il est mort il y a 28 ans...

     

    Vous citez l'exemple du graduale Speciosus forma. Quelqu'un d'ouvert à la discussion comme vous, qui souhaite améliorer les éditions de chant, grand connaisseur de la transmission manuscrite, des sources, ne verrait pas d'inconvénient d'échanger à propos des problèmes de restitution dans cette pièce, je suppose. Je vous invite à créer un billet sur Musicologie Médiévale à propos de ce graduel et à éclairer notre lanterne avec vos découvertes. Le succès est garanti, je vous donne ma parole: je connais certains membres de ce réseau qui auront des choses à vous dire. Je sais bien ce que j'écris, croyez-moi. Relevez-vous le défi?

     

    Je souhaiterais traiter ce soir des choses beaucoup plus importantes que votre texte, pas encore publié, mais, à mon humble avis, largement dépassé. Mais j’écrirai sur un autre billet…

    Merci, Dominique (Gatté), d'avoir envoyé le "Regardez..." pour que l'on prenne connaissance du texte de Monsieur Goudesenne et que l'on puisse "échanger" sur son texte et "essayer" de faire évoluer la sémiologie... Mission accomplie.

  • Dear Luca, you made some good observations!

    4 is no practical solution, you would have NO book.

    2 is no practical solution, you would have 7 ore more books.

    Rest the options 1 and 3.

    Personally I think the Graduale novum is closer to option 3 than to 1.

    It is, in your words, 'more correct', than the Vat 1908.

    The Vat did not use one source but tried to come as close to the oldest witnesses as they could.

    There is a certain preference for the Saint-Gall version, I'ld agree.

    The articles in BzG (since 1996) , Beiträge zur Gregorianik, concerning the restitutions of the melodies on which GrN is based., deliver quite some information about the variants.

  • Le travail de classement des manuscrits réalisé par Gregofacsimil a permis, lors de la construction de tableaux synoptiques, de repérer des témoins diastématiques extrêmement perspicaces dans la transcription de pièces echappant au cadre hexacordal classique. Il suffit donc de suivre de près leur avis et d'en tenir compte pour obtenir une transcription intervallique correcte. La méthodologie est donc au point. Le travail, de ce fait, est réalisable sans difficulté particulière. Je considère ce problème comme résolu.
  • Bien fait, cette fois ;)

  • Mais, non Oliver j'ai déjà partagé ce texte!
    Le mail «Regardez» pour ce texte a été envoyé hier à 00h48 !
  • Une invitation communicative de cesser à éviter cette discussion nécessaire. Je voudrais suggérer à Dominique une annonce "Regardez...", même que je sais il ne va pas le faire...

  • Cher Jean-François j'attends l'ouvrage avec impatience!

    Amitié

    Frank

  • Et bien... Cela augure une belle suite! J'ai hâte de lire ce livre qui offre un nouveau regard sur cette si belle musique et je vous remercie pour ce travail.
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