Ce nouveau disque de Damien Poisblaud vient prolonger et parfaire le geste entrepris en 2010 avec Les grands offertoires, aux sources du chant sacré. Enregistré dans la résonance unique de l'abbaye, ce disque fera certainement date. Les Chantres du Thoronet atteignent ici une qualité d'interprétation sans précédent, tant au niveau de la puissance d'expression que de la précision dans l'exécution des ornements.
Les grands offertoires grégoriens II, produit par Psalmus, petit label dédié à la redécouverte de la musique sacrée, ne sera pas seulement un document incontournable pour les spécialistes ou les amoureux du Moyen Âge. Loin s'en faut. Comme l'indique Damien Poisblaud : "Le retour à la source devait faire apparaître un chant traditionnel et on le sent pourtant contemporain. Tel un arbre centenaire, il plonge ses racines dans le passé mais ses fruits sont toujours frais ; il se fait neuf de cette nouveauté qu'ont les choses qui échappent au temps, parce qu'elles nous viennent d'un ailleurs toujours présent quand on ne le fuit pas."
Chanter les grands offertoires, c'est se mesurer à l'un des monuments les plus grandioses et peut-être aussi, les plus méconnus de l'histoire de la musique. Ces compositions antiques (dès le VIe siècle) tiennent en occident la place du fameux Hymne des chérubins de la liturgie de saint Jean Chrysostome, dont il existe d'ailleurs des transpositions en latin (un exemple ici). Ces pièces solennelles et virtuoses accompagnaient la longue procession des offrandes et leur présentation à Dieu par les mains du prêtre. La splendeur de ces morceaux unissait l'âme à la liturgie céleste et portait le fidèle au point culminant de l'adoration afin de le disposer à s'unir au Sacrifice rédempteur. Avec la disparition de cette procession vers le XIIe siècle, la liturgie n'a finalement conservé de ces antiennes-répons que le premier des trois ou quatre versets d'origine. Que le XIIe siècle témoigne d'un attrait pour de nouvelles formes musicales, plus polyphoniques celles-là, ne fait pas de doute, mais peut-être ne savait-on plus très bien exécuter ces chants, jadis véritables morceaux de bravoure pour les chantres…
Le mérite de Damien Poisblaud n'est pas seulement de nous faire entendre ces sommets oubliés du répertoire grégorien. Outre ses qualités indiscutables de soliste, son chœur est peut-être le seul à offrir une interprétation aussi précise et aussi convaincante des neumes (notation ancienne). Qu'on en juge par l'offertoireRecordare, sans doute une des pièces les plus touchantes de cet enregistrement. Par la couleur modale, les ornements et la belle tenue du Verbe, on y retrouve le caractère traditionnel du geste vocal cher à Damien Poisblaud. On soulignera ici par exemple l'énergie du traitement de la virga (note représentée par un trait en forme d'accent aigu), l'introduction de soupirs que le chœur amène avec une force judicieuse, la fermeté virile conjuguée à la douceur, et le rythme des trigons (notes représentées par trois points disposées forme de triangle), véritablement renversant.
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Comments
ce que vous appelez la teneur, c'est l'ison ?
La teneur n'est pas indispensable, nous sommes d'accord, elle me semble même nuisible car elle vient perturber la résonance des harmoniques de chaque note. Et cela dénature complètement ce chant dont absolument rien ne vient légitimer le fait qu'on y chantait une teneur. Et encore moins dans une église cistercienne dont le dépouillement est de rigueur! On peut d'autant mieux chanter en non tempéré que l'on chante sans teneur. Celle-ci établi un rapport harmonique qui est étranger à ce chant, d'autant que les antiennes modulent quelquefois vers des modes voisins. Faut-il dans ce cas modifier la teneur?
Si l'on ne supporte pas la sublime beauté d'une monodie sans teneur, alors il faut faire de la polyphonie!
A ce propos, j'avais demandé à Dominique Vellard si la polyphonie n'était pas brouillée par la résonance du Thoronet (car je n'y suis pas favorable vous l'aurez compris). Il m'a répondu que la présence du public absorbait largement l'excès de résonance qui aurait rendu toute polyphonie inintelligible. C'est une chance!
De plus, je ne représente pas ici que ma propre opinion, mais celle aussi d'autres chantres qui partagent pleinement mon point de vue.
Merci pour la consistance de votre réponse.
Monsieur Michel Séné,
Permettez moi de préciser certains points.
Damien Poisblaud et son choeur ont chanté la messe dominicale pendant près de 8 ans au Thoronet. Des milliers de personnes sont venues de toute l'Europe pour prier au cours de ces messes ou écouter ce chant en concert.
Vous dites que son chant n'y a pas sa place : j'ai entendu au Thoronet de la trompette, du Mozart, différentes compositions polyphoniques anciennes ou modernes, du chant traditionnel de l'Inde (prisé d'ailleurs par Dominique Vellard qui n'hésite pas à le mettre en dialogue avec du grégorien), et je dois dire que le grégorien tel que les Chantres du Thoronet le chantent a une légitimité tout à fait acceptable, pour ne pas dire plus...
L'acoustique que vous avez essayée est effectivement un véritable bijou, j'abonde dans ce sens. Le mérite de Damien Poisblaud consiste justement à l'avoir apprivoisée durant de nombreuses années, ce qui lui a d'ailleurs donné de comprendre l'architecture modale des pièces grégoriennes, et cela s'entend !
C'est précisément ce lieu et sa résonance exceptionnelle qui lui ont permis de développer le style que vous dites grec et arabisant : rythme lent, virilité et tenue du texte, justesse naturelle (sans cela, le chant le mieux exécuté demeure terne), appui sur les notes qui charpentent la structure mélodique (ce qui permet d'exécuter plus rapidement les notes ornementales dont la fonction est d'aider le chantre à amener le texte tout en restant dans la justesse)...
Il est rare de trouver des choeurs qui cherchent à assumer à ce point les principes imposés par les lois de la physique (gamme non tempérée), par les voûtes de ce lieu, en sommes, les principes de tout chant traditionnel dont le grégorien fait parti.
C'est d'ailleurs par ce chemin qu'il obtient un résultat si convaincant pour la liturgie. Car le contraire de chanter faux n'est pas chanter juste mais chanter vrai, et c'est de cela dont nous avons besoin pour la prière. Du reste, les grandes traditions orales auxquelles vous faites allusions ont certainement beaucoup à nous apprendre à ce sujet, même si le grégorien demeure spécifique.
Pour ce qui est de la teneur, on peu fonder sa légitimité sur l'univers musical médiéval et traditionnel (monocorde, musique à bourdon, note fondamentale des modes grégoriens). Qu'elle soit chantée ou non, elle est supposée. Le chantre la garde dans l'oreille. C'est la note de référence qui détermine la couleur modale et les intervalles. Il est des spécialistes pour nier la consistance des modes, c'est à mon sens parce qu'ils partent d'une conception moderne et très intellectuelle de la musique. Sans doute aussi parce qu'ils ont peu d'oreille pour entendre la différence (substantielle pourtant !) - il serait d'ailleurs intéressant d'entendre M. Dominique Vellard sur le sujet. Par conséquent, si la teneur n'est pas indispensable, ce que je vous accorde volontiers, elle ne violente pas pour autant la nature du grégorien. Elle a au contraire le mérite de rééduquer nos oreilles habituées à la gamme tempérée et devenues insensibles à la beauté de ces intervalles qu'on retrouve effectivement dans les gammes diatoniques grecques et dans toutes les traditions encore vivantes avec sans doute des variantes.
Pour le reste, s'il est légitime de ne pas apprécier ce résultat et de ne pas admettre certains choix, il me semble injuste de laisser entendre qu'il s'agisse d'une motivation commerciale (si telle est votre intention). C'est faire peu de cas du sérieux, de la profondeur et du talent des chantres du Thoronet. Je réitère : un disque magnifique et incontournable (même si on le critique).
Merci en tout cas de m'avoir donner l'occasion de préciser ces points.
Respectueuses salutations.
Mon premier texte devrait se trouver avant les questions de Dominique Gatté, mais je n'avait pas d'autres moyens que de le déplacer pour corriger quelques fautes d'orthographe...
Ma référence en matière de grégorien est Dominique Vellard, entre autres, et ce que font à son école, les moines de Ligugé.
Le chant grec arabisant est un chant avec teneur(s) comportant des notes extrêmement rapides, beaucoup trop rapides, presque hystériques. Le chant de la paix et de la lumière est un chant monodique qui respecte par son tempo l'acoustique (très riche en harmoniques au Thoronet, pour l'avoir essayée moi-même) dans laquelle il se déploie. Je vous ai donné l'une de mes références au début de ce texte. D'ailleurs ce chant, pour devenir tel doit être incorporé à la liturgie et à la prière de chaque jour...Je ne doute pas du succès commercial de ce disque, mais là n'est pas notre but. Si ce disque "marque la fin d'une présence à l'abbaye du Thoronet", ce n'est sans doute pas sans raisons.
L'utilisation d'une teneur dans le chant grégorien, qui plus est dans une nef cistercienne, et dans une nef cistercienne dont l'acoustique exceptionnelle ne le requiert surtout pas, est une hérésie absolue. J'ai essayé moi-même cette acoustique, et j'ai pu constater qu'elle transfigurait littéralement la voix. Dans ce disque, on a l'impression d'entendre du chant grec plus ou moins arabisant, pas du chant grégorien. Disque à déconseiller formellement! Cela n'est pas le chant de la paix et de la lumière. Les moines cisterciens doivent se retourner dans leurs tombes...
Pour Michel Séné :
Qu'est-ce que du "chant grec plus ou moins arabisant" ?
qu'est "le chant de la paix et de la lumière" ?
Merci M. Alberto Diaz-Blanco pour votre commentaire. Voici le lien pour aller vers le blog où l'article ci-dessus à été publié. On y écoutera un extrait sonore du disque : http://terredecompassion.com/2016/07/22/les-grands-offertoires-ii-l...
Attendu depuis longtemps, ce CD est depuis cette semaine dans ma collection. Un enregistrement hautement recommandé comme le premier volume. Ci-dessous le message envoyé par M. Damien Poisblaud avec davantage d'information:
Chers amis,
Le nouveau disque des Chantres du Thoronet est arrivé !
Cet enregistrement est le fruit d'une lente maturation. Il a poussé sous la plus belle voûte romane, muri sous le soleil de musiques millénaires; de là lui vient peut-être ce goût d'Au-delà qu'il laisse en l'âme... Ni plagiat ni fantaisie en ces longues volutes sonores :simplement la quête d'un geste vocal qui traverse l'humanité tout entière. Le retour à la source devait faire apparaître un chant traditionnel, on le sent pourtant contemporain. Tel un arbre centenaire qui plonge ses racines dans un riche passé, il se renouvelle inlassablement danscette nouveauté qu'ont les choses qui échappent au temps, parce qu'elles nous viennent d'un ailleurs toujours présent quand on ne le fuit pas.
Cet enregistrement marque aussi la fin d'une présence à l'Abbaye du Thoronet, présence liturgique régulière, coutumière des Saints mystères et de l'architecture sacrée. Ce disque des Offertoires, tel une offrande, semble attendre sa consécration afin pouvoir achever son incorporation au Mystère du Christ.
Mais si vous prêtez une oreille attentive à cette gravure, vous entendrez sans doute bien d'autres choses encore...
Damien Poisblaud
Vous pouvez commander ce CD jusqu'au 31 juillet pour 15 € puis pour 18 € (+3 € de port) à l'adresse ci-dessous. N'oubliez pas de joindre votre adresse postale à votre règlement (à l'ordre de Damien Poisblaud).