Version courte d’un article à paraître…
Un nouveau témoin de l'office de la Nativité de St Jean Baptiste
à Rome au XIIème siècle
Verdun, bibliothèque municipale, Ms 84
Dominique Gatté
Le manuscrit 84 de la bibliothèque municipale de Verdun (que nous appellerons parfois « F-VN Ms 84 » dans le reste de notre étude) est un commentaire sur l’apocalypse du dominicain Jean de Torquemada, évêque de Sainte-Sabine datant de la fin du XVème siècle. Les notes se trouvant au début et à la fin du manuscrit nous indiquent qu'il a été composé très certainement, directement ou indirectement, par Jean de Torquemada en 1463 à la basilique Sainte-Sabine :1r « Sanctissimo et clementissimo domino Pio secundo, pontifici maximo, Johannes de Turrecremata, Sabinensis episcopus. » — Desinit : « Sive humanus laudet dominum. Deo gratias. » ; fin Die quarta maii 1463, in qua die translatas sum de ecclesia Prenestina ad ecclesiam Sabinensem. C'est donc à Rome qu'a été écrit ce manuscrit et qu'il a du être relié. La reliure usée et déchirée est d'origine et en veau gaufré, sur ses contre-plats supérieur et inférieur, 2 folios, détachés d'un antiphonaire vieux-romain de la deuxième moitié, du XIIème siècle ont été collés.
En 1596, ce manuscrit appartenait au monastère Saint-Arnould de Metz qui en 1619, avait adhéré à la réforme monastique de Saint-Vanne., Nous pouvons lire sur le 1er plat : « Ex monasterio Sancti Arnulphi Metensis. » et aussi « Theodoricus Robertus, monasterii Sancti Arnulphi Metensis religiosus et custos. Anno salutis 1596. ». Au XIXème siècle, ce manuscrit a fait partie de la collection de Jean-Nicolas-Gabriel de Nothomb, un fabricant de faïence à Longlaville en Meurthe-et-Moselle. Nous pouvons lire sur l'ex-libris collé sur le contre-plat supérieur qui malheureusement couvre 4 lignes du fragment d'antiphonaire : « Cet ouvrage appartient à la bibliothèque de M. de Nothomb, propriétaire à Longlaville près de Lougwy, n° 430 ». Puis il a été racheté par monsieur d'Attel de Luttange. En haut à gauche du contre-plat supérieur est noté « ms 84 (15e S.), Volume de 146 folios (1884) », cette date est celle du leg de monsieur d'Attel de Luttange à la bibliothèque municipale de Verdun.
A ce jour, les fragments du Ms 84 de la bibliothèque municipale de Verdun sont encore collés aux contre-plats du manuscrit. Les deux folios collés sont deux pages consécutives d'un même antiphonaire vieux-romain et elles nous livrent dans leurs parties visibles l'office de la Nativité de Saint Jean Baptiste. L'antiphonaire est écrit sur une colonne de douze lignes. Les dimensions du manuscrit sont de 290 × 213 mm,
Les initiales des répons ont été faites à l'encre rouge ainsi que celle de la première antienne de l'office. Celles des autres antiennes et des versets de répons ont été écrits à l'encre noire qui a servi pour l'écriture du texte, puis repassé à l'encre rouge. La lettrine du premier répons du premier nocturne est filigrané à l'encre rouge, puis les bords repassés à l'encre bleue. La seule rubrique visible In primo nocturno est écrite à l'encre rouge. La notation utilisée est une notation romaine sur lignes tracées à la pointe sèche avec clefs de do .c. et clef de fa .f.. La ligne du do a été repassée à l'encre jaune et la ligne du fa à l'encre rouge.
Le fragment vieux-romain du manuscrit 84 de la bibliothèque municipale de Verdun devient donc la sixième source connue de l'office romain antique et elle est la troisième source de l'office de la nativité de Saint Jean Baptiste. Il est donc un luxe de pouvoir comparer trois sources d’un même office en chant romain. Les deux principales sources connues pour l'office vieux-romain et qui conservent cet office sont les antiphonaires B79 de la Biblioteca Apostolica Vaticana (Rom 1) et le Ms Add 29988 de la British Library (Rom 2). Giacomo Baroffio a déjà identifié deux autres fragments de l'office vieux-Romain et Thomas Kelly un autre. Ces trois fragments se trouvent dans des collections italiennes.
Liste des sources musicales de l’office Vieux-Romain :
- Bologna, Museo Internazionale e Biblioteca della Musica, Q 3, frammento 19[1] (Fragment d'un folio du XIIIème siècle, office de St Alexander, St Sabine, décollation de St Jean Baptiste)
- Frosinone, Archivio di Stato, Collezione delle permamene 82 (99)[2]
- London, Brithish Library Ms Add 29988 (Antiphonaire complet de la basilique du Latran ou de Saint Pierre, deuxième moitié du XII siècle)
- Sutri, Archivio comunale, Frammenti teologici 141/40, 141/41[3] (Fragment de 2 folios d'antiphonaire fin du XI siècle, Sexagesima, quinquagesima, mercredi des cendres)
- Vaticana (Citta del), Biblioteca Vaticana, Archivio di San Pietro, Ms B 79[4] (Antiphonaire de St Pierre de Rome complet, deuxième moitié du XIIème siècle)
A première vue, le fragment F-VN Ms 84 comparé à Rom 1 et Rom 2 ne présente pas de variantes remarquables. La succession des pièces de l'office de la Nativité de Saint Jean Baptiste est la même dans les trois manuscrits.
Début de l'office de la Nativité de Saint Jean Baptiste à Rome
INCIPIT |
Type |
CAO |
I-Rvat SP B.79 |
GB-Lbl Add 29988 |
F-VN Ms 84 |
Priusquam te formarem in |
Ant |
cao4381 |
128r |
99r |
c-p inf |
Ad omnia quae mittam te dicit |
Ant |
cao1249 |
128r |
99r |
c-p inf |
Ne timeas a facie eorum quia |
Ant |
cao3862 |
128r |
99r |
c-p inf |
Elisabeth Zachariae magnum |
Versicule |
cao8050 |
128r |
99r |
c-p inf |
Fuit homo missus a deo cui |
R |
cao6750 |
128r |
99r |
c-p inf |
Erat Joannes in deserto |
V |
cao6750a |
128v |
99v |
c-p inf |
Elisabeth Zachariae magnum |
R |
cao6652 |
128v |
99v |
c-p inf |
Fuit homo missus a deo cui |
V |
cao6652a |
128v |
99v |
c-p sup |
Priusquam te formarem in |
R |
cao7435 |
128v |
99v |
c-p sup |
Misit dominus manum suam et |
V |
cao7435z |
128v |
99v |
c-p sup |
Misit dominus manum suam et |
Ant |
cao3785 |
128v |
99v |
c-p sup |
Ecce dedi verba mea in ore |
Ant |
cao2502 |
129r |
99v |
c-p sup |
Dominus ab utero vocavit me |
Ant |
cao2400 |
129r |
100r |
c-p sup |
Du point de vue musical, les trois sources affichent une ligne mélodique générale identique, mais en regardant de plus près, nous constatons que ces trois versions affichent une très grande diversité de variantes liées à l’exécution vocale.
Regardons premièrement la première antienne de l'office de St Jean Baptiste : Priusquam te formarem in...
Pour cette seule antienne nous pouvons voir plusieurs variantes d’ornementation. Nous constatons que l'usage des liquescences est beaucoup présent dans le fragment de Verdun que dans Rom 1 et Rom 2. Ces variantes peuvent s’expliquer par la liberté des chantres dans l’exécution des pièces. Les manuscrits ne s’accordent pas pour exécuter au même endroit les ornementations. Nous pouvons par exemple regarder le mot sanctificavi, et nous voyons qu’au début sur SANC-TI, Rom 2 n’ornemente pas, Rom 1 ornemente SANC et Metz ornemente TI. Cette grande variété dans l’écriture des pièces des manuscrits Vieux Romain confirme le caractère analytique des notations italiennes[5].
Contre-plat inférieur
Contre-plat supérieur
[1] BAROFFIO, Giacomo, « L'antifonario romano-antico : Una reliquia del IV testimone », dans Rivista Internazionale di Musica Sacra, 27 (2002), p. 145-148. Reproduction numérique du fragment : http://www.bibliotecamusica.it/cmbm/viewschedatwbca.asp?path=/cmbm/images/ripro/gaspari/_Q/Q003/
[2] BAROFFIO, Giacomo, « Un nuovo testimone della tradizione musicale romana », dans Rivista Storica del Lazio, 4 (1996), p. 23-28. Reproduction numérique du fragment : https://gregorian-chant.ning.com/group/vieuxromain/forum/topics/frammenti-di-antifonario-dal-repertorio-romano-antico
[3] KELLY, Thomas Forrest, « Old-Roman chant and the responsories of Noah: new evidence from Sutri », dans Early Music History, 26 (2007), p. 91-120.
[4] Reproduction numérique du manuscrit : http://digi.vatlib.it/view/MSS_Arch.Cap.S.Pietro.B.79
[5] RICOSSA Luca, « Constantin Floros : Universale Neumenkunde. Quarante ans après, de nouvelles perspectives », article publié en ligne sur academia : https://www.academia.edu/217742/Constantin_Floros_Universale_Neumenkunde._Quarante_ans_apr%C3%A8s_de_nouvelles_perspectives
Replies
Superbe, Dominique!
Mille bravos!
Merci beaucoup Henri !
Henri Adam de Villiers a dit :
Bravo Dominique, c'est une très belle découverte en effet ! Bravo pour ton travail !
Cher Monsieur Reznikoff,
oui, il reste énormément de choses à voir et partout !
Je viens par exemple de finir d'inspecter 28332 reliures d'incunables et de livres imprimés de la Bayerische Staatsbibliothek de München !
Et j'y ai trouvé beaucoup de choses inconnues, comme par exemple un fragment de traité sur la modalité à l'usage des chantres qui n'a jamais été répertorié jusqu'à ce jour !
Etonnant, passionnant. Comme quoi, il y a encore à fouiller dans les bibliothèques de province!
Merci beaucoup !
Surtout de trouver ça en France...
Thomas Forrest Kelly a dit :
Félicitations! Une belle découverte!